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En défense d'Aileen Wuornos : Matérialisme dialectique contre droit pénal

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de Camarade Kiwi
Publié le : 2025-10-26 (mis à jour : 2025-11-15)
30-50 minutes

Ce n’était pas une tragédie individuelle mais une violence structurelle rendue visible, le fonctionnement routinier du patriarcat capitaliste procédant par ses canaux normaux vers son résultat habituel. Elle est morte. La structure qui l’a tuée persiste. Elle en produit d’autres comme elle à cet instant même, les soumettant aux mêmes conditions, leur offrant les mêmes choix impossibles, les préparant à la même destruction. Notre tâche est d’identifier avec précision ce qui doit être aboli et d’organiser la force collective nécessaire pour l’abolir.

Cela exige une analyse matérialiste dialectique capable de saisir la totalité sans perdre de vue les individus, la détermination structurelle sans éliminer l’agency, la nécessité historique sans accepter l’inévitabilité d’un résultat particulier. Cela exige une rage disciplinée par la théorie et une compassion disciplinée par le matérialisme.

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« Si la libération des femmes est impensable sans le communisme, alors le communisme est impensable sans la libération des femmes. »

— Inessa Armand

En défense d'Aileen Wuornos : Matérialisme dialectique contre droit pénal[modifier | modifier le wikicode]

Le texte qui suit est foncièrement et totalement biaisé en faveur d'Aileen Wuornos.

I. L'isolement de la partie[modifier | modifier le wikicode]

Le 9 octobre 2002, l'État de Floride a exécuté Aileen Carol Wuornos par injection létale. Elle avait 46 ans. L'État a appelé cela la justice. Nous, nous appelons cela un meurtre s'ajoutant à un meurtre, l'acte final d'un processus d'anéantissement social de plusieurs décennies, commencé lorsqu'elle était enfant et conclu lorsque l'appareil de la loi bourgeoise, après l'avoir d'abord abandonnée à des conditions conçues pour la détruire, l'a punie pour les conséquences prévisibles de cette destruction.

Pour comprendre ce qui s'est passé dans cette chambre d'exécution, et dans les sept meurtres qui l'ont précédée, il faut rejeter entièrement le cadre par lequel le droit pénal bourgeois appréhende de tels cas. Ce cadre opère par fragmentation : il isole des actes discrets de leur genèse sociale, abstrait des moments de leur développement historique, sépare l'individu de la totalité des relations qui l'ont produit, puis juge le fragment comme s'il était le tout. Ce n'est pas seulement une inadéquation analytique, mais une falsification active, l'imposition violente de catégories incapables de contenir la réalité qu'elles prétendent expliquer.

Le procès d'Aileen Wuornos a procédé par une fragmentation systématique. Chaque meurtre a été jugé séparément, comme si sept actes distincts de violence émanaient de sept choix discrets faits par un agent rationnel autonome exerçant son libre arbitre dans un vide de détermination sociale. L'accusation a présenté des chronologies, des preuves balistiques, des témoignages sur ses déplacements, ses contradictions, son affect. Ce qu'ils ne pouvaient pas présenter, parce que la structure du droit pénal l'interdit, c'était la totalité : le processus continu par lequel un être humain a été construit par la violence dès l'enfance, façonné par des décennies de coercition en quelqu'un pour qui tuer n'apparaissait pas comme une transgression, mais comme un refus, comme la seule réponse disponible face à des conditions rendant la soumission continue indistinguable d'une mort lente. Fragmenter sa vie en moments discrets, séparer la femme qui a tué en 1989 de l'enfant violée en 1964, analyser l'acte en dehors de la totalité qui a produit l'actrice, c'est commettre une erreur de catégorie si fondamentale que toute conclusion qui en découle est sans valeur.

C'est comme essayer de comprendre le cœur en l'examinant hors du corps, coupé de la circulation du sang, du rythme de la respiration, du réseau de vaisseaux qui font du cœur ce qu'il est. Isolé, le cœur n'est que de la viande. Contextualisé au sein de l'organisme vivant, il en est le centre.

Il en va de même pour l'action humaine : isolée, les meurtres de Wuornos apparaissent comme une violence inexplicable, les actes d'un monstre. Contextualisés dans la totalité de son existence, ils deviennent intelligibles comme des réponses à une violence structurelle soutenue, comme des moments au sein d'un processus continu d'être agie qui a finalement inversé de direction.

Ce n'est pas une atténuation. Nous ne soutenons pas que ses circonstances terribles excusent ses actes, que nous devrions avoir pitié d'elle et donc réduire sa peine, que le traumatisme rend le meurtre compréhensible et donc pardonnable. Ce cadre, le cadre libéral de la responsabilité individuelle modifiée par une considération compatissante des facteurs contextuels, reste piégé dans la même fragmentation qu'il prétend surmonter. Il traite toujours l'acte comme primaire et le contexte comme secondaire, suppose toujours un individu autonome prenant des décisions qui sont ensuite expliquées (ou minimisées) par référence à des expériences malheureuses. Nous rejetons cela entièrement.

Il n'y a pas d'acte qui doive ensuite être excusé. Il n'y a que la totalité : un être humain produit par des relations sociales spécifiques, agissant au sein de ces relations de manière déterminée non pas mécaniquement mais dialectiquement, où la détermination ne signifie pas l'absence d'agentivité mais plutôt une agentivité qui se déploie dans des contraintes matérielles qui façonnent ce qui apparaît possible, ce qui apparaît nécessaire, ce qui apparaît comme un choix en premier lieu.

Wuornos a exercé son agentivité tout au long de sa vie, elle a pris des décisions, elle a agi dans le monde, mais son agentivité opérait dans un horizon de possibilités qui avait été catastrophiquement rétréci par des forces totalement hors de son contrôle, et juger ses actes comme si elle se trouvait dans la position de quelqu'un dont l'horizon n'avait pas été ainsi contraint n'est pas de la compassion modérée par les circonstances mais une méconnaissance fondamentale de ce qu'est l'action humaine et de la manière dont elle émerge de l'existence sociale matérielle.

Le matérialisme dialectique exige une analyse adéquate à cette totalité. Il refuse la séparation bourgeoise entre l'individu et la société, entre l'acte et le contexte, entre la partie et le tout. Il reconnaît que l'individu n'est pas un atome pré-social qui entre ensuite dans des relations sociales, mais est plutôt constitué par ces relations, n'existe que comme un moment au sein de la totalité sociale, et agit de manières qui ne peuvent être comprises qu'en saisissant comment la totalité façonne les possibilités disponibles pour l'individu. Cela ne consiste pas à éliminer la responsabilité individuelle mais à la replacer : la question n'est plus « cet individu a-t-il choisi cet acte ? » mais plutôt « quelles étaient les conditions matérielles qui ont produit cet individu, quelles possibilités semblaient disponibles depuis sa position au sein de ces conditions, et comment ses actes révèlent-ils la nature du système qui a structuré ses choix ? »

Le droit bourgeois ne peut poser ces questions car les réponses accuseraient le système lui-même. Mieux vaut fragmenter, isoler l'acte, présenter l'individu comme un monstre choisissant librement, l'exécuter et passer à autre chose.

Le matérialisme dialectique pose les questions que le droit bourgeois doit réprimer, et en y répondant, parvient à des conclusions juridiquement irrecevables mais matériellement nécessaires : Aileen Wuornos aurait dû être acquittée de toutes les accusations, bénéficier d'un soutien matériel et psychologique complet, et être intégrée dans une société qui ne produit plus les conditions qui l'ont détruite.

Que cette conclusion paraisse utopique, naïve ou dangereuse révèle non pas notre manque de réalisme mais la faillite des catégories juridiques qui ne peuvent répondre à la violence systématique qu'avec davantage de violence tout en l'appelant justice.

II. Le meurtre social comme base de l'existence[modifier | modifier le wikicode]

Aileen Carol Wuornos est née le 29 février 1956 à Rochester, dans le Michigan, de Diane Wuornos, qui avait quinze ans, et de Leo Dale Pittman, schizophrène diagnostiqué et violeur d'enfants condamné qui se suicidera en prison par pendaison quand Aileen avait treize ans. Elle ne l'a jamais rencontré. Sa mère l'a abandonnée, elle et son frère Keith, à ses propres parents quand Aileen avait quatre ans, incapable ou refusant de s'occuper d'enfants qu'elle n'avait pas choisis de mettre au monde, des enfants engendrés par un homme dont la violence les avait marqués avant même leur naissance. Aileen a été élevée par ses grands-parents maternels, Lauri et Britta Wuornos, dans un foyer caractérisé par l'alcoolisme, la violence et le chaos. Lauri battait régulièrement les enfants. Britta était passive, impuissante ou complice. Dès l'âge de six ans, peut-être plus tôt, Aileen était victime d'abus sexuels, probablement de la part de son grand-père, peut-être de ses amis, certainement de la part d'hommes qui savaient qu'un petit enfant dans un foyer violent est vulnérable de manières qui peuvent être exploitées sans conséquence.

Les abus n'étaient pas un incident isolé mais continus, faisant partie de la structure de la vie quotidienne, de sorte que ses premières expériences de son propre corps étaient des expériences de violation, d'être utilisée, d'exister comme objet pour la gratification d'autrui.

À l'âge de onze ans, elle et son frère accomplissaient des actes sexuels en échange de cigarettes, de nourriture, de petites sommes d'argent, dans ce qui était déjà une forme de prostitution, bien que non encore formalisée par un échange monétaire explicite. À quatorze ans, elle tomba enceinte à la suite d'un viol commis par un homme adulte, un ami de son grand-père. La réaction de sa famille fut de l'envoyer dans un foyer pour mères célibataires, non pour la protéger, mais pour cacher les preuves de leur échec à la protéger. Elle accoucha en 1971. L'enfant lui fut immédiatement retiré et placé en adoption. Elle ne vit jamais le bébé, n'eut jamais l'occasion de faire le moindre choix sur ce qui lui arrivait, vécut la maternité comme une autre forme de violation, son corps produisant quelque chose qui lui fut ensuite arraché sans son consentement.

Ce ne sont pas des incidents isolés de malchance, ni une série de malheurs arrivés à quelqu'un qui en serait resté fondamentalement distinct. C'était la production d'un sujet par la violence, la construction d'un soi par la négation systématique de l'autonomie, de la dignité et de l'intégrité corporelle. Chaque expérience enseignait la même leçon : ton corps ne t'appartient pas, tu existes pour l'usage des autres, le refus est impossible, la protection ne viendra pas, les adultes qui devraient prendre soin de toi sont soit des bourreaux, soit des témoins passifs de ta destruction, et la survie exige d'accepter la violation comme condition permanente de ton existence. À quatorze ans, chaque élément de son avenir était déjà déterminé, non au sens d'une causalité mécanique, mais au sens où la structure des possibilités qui s'offraient à elle s'était rétrécie au point que la prostitution n'apparaissait plus comme un choix parmi d'autres, mais comme la continuation de ce qui avait toujours déjà été vrai dans sa relation à son propre corps et au monde social. Elle était dans la prostitution depuis l'enfance, simplement sans la transaction monétaire explicite qui formaliserait plus tard l'échange. La seule question était de savoir combien de temps elle survivrait dans ce système et sous quelle forme se produirait sa destruction finale.

Après l'accouchement, elle retourna brièvement chez ses grands-parents, mais la situation s'était encore dégradée. Sa grand-mère Britta mourut quand Aileen avait quinze ans, probablement d'un suicide déguisé en cirrhose alcoolique, et peu après, son grand-père la chassa de la maison.

Elle se retrouva sans abri lors d'un hiver du Michigan à quinze ans, sans argent, sans soutien, sans famille, sans endroit où aller. L'alternative à la prostitution était la mort par exposition au froid ou par famine. Ce n'est pas une exagération rhétorique, mais un fait matériel : une fille de quinze ans seule en hiver et sans ressources survit en échangeant du sexe contre des trajets, de l'argent pour se nourrir, un abri temporaire, ou elle ne survit pas. Les hommes qui la prenaient en stop, qui achetaient l'accès au corps d'une enfant sans abri, comprenaient parfaitement cela. La transaction était structurée par son désespoir absolu et leur capacité à en abuser. Appeler cela un choix, suggérer qu'elle était entrée librement dans la prostitution, présenter cela comme un travail comme un autre, est obscène. C'était un meurtre social procédant par une violence lente, la destruction systématique d'un être humain par des conditions qui rendaient la survie dépendante de l'acceptation de sa propre violation continue.

Pendant les vingt années suivantes, de quinze à trente-cinq ans, Aileen Wuornos survécut grâce à la prostitution de rue. Pas du « travail du sexe » comme l'euphémisme libéral voudrait le nommer, pas une carrière, pas une occupation librement choisie, mais une prostitution de survie caractérisée par le sans-abrisme ou des logements précaires, par des déplacements constants entre le Michigan et la Floride, par des violences de la part des clients qui n'étaient pas exceptionnelles mais routinières, par des arrestations qui ajoutaient une coercition légale à la coercition économique, par l'alcoolisme comme automédication face à des traumatismes insupportables, par de brèves tentatives avortées d'emplois conventionnels qui s'effondraient parce qu'une personne vivant dans une voiture avec un état de stress post-traumatique complexe non traité ne peut maintenir la performance de normalité que le travail salarié exige, et par l'accumulation continue de violences qui, au fil de milliers de transactions avec des centaines ou des milliers d'hommes, lui apprirent que chaque client recélait la possibilité du viol, des coups, du meurtre, et que sa survie dépendait du calcul des probabilités, de la tentative de distinguer le client qui se contenterait de l'utiliser de celui qui la détruirait, une distinction qui devint de plus en plus impossible à faire, car la structure même de la prostitution est violence, et la violence physique supplémentaire n'est que l'expression explicite de la violation inhérente à chaque transaction.

Nous ne savons pas exactement combien de fois elle a été violée, battue, volée, menacée de mort. Elle a été violée par des clients qui ne payaient pas, qui refusaient de reconnaître que même une prostituée conserve un droit minimal aux termes de la transaction. Elle a été battue par des clients qui prenaient plaisir à infliger de la douleur, qui savaient qu'une prostituée n'a aucun recours à la protection, que la police se moque des violences subies par les prostituées, que la violence contre elle n'a aucun coût social. Elle a été violée collectivement au moins deux fois par des groupes d'hommes qui l'avaient prise en stop ensemble. Au moins une fois, elle a été étranglée jusqu'à perdre connaissance et s'est réveillée en découvrant qu'elle était encore en vie seulement parce que son agresseur avait été interrompu.

Ce sont les incidents que nous connaissons parce qu'elle en a parlé ou parce qu'ils ont laissé des marques suffisamment visibles pour être documentées. La totalité de la violence est impossible à reconstituer car la plupart n'ont laissé aucune archive, aucune preuve, aucune trace en dehors des dégâts cumulés à sa capacité psychologique de se concevoir comme autre chose qu'un objet à utiliser et à jeter. À la trentaine, elle avait été violée plus de fois que la plupart des gens n'ont de rapports sexuels consentis dans toute une vie. Elle avait subi des violences si régulièrement qu'elles n'apparaissaient plus comme des aberrations mais comme la condition normale de l'existence. Elle a développé l'hypervigilance caractéristique des traumatismes complexes, la dissociation qui permet de survivre à des expériences qui briseraient autrement la psyché, l'incapacité à faire confiance qui n'est pas de la paranoïa mais une adaptation rationnelle à des conditions où la confiance mène à davantage de torts, et la certitude croissante qu'elle mourrait dans la prostitution, probablement bientôt, probablement violemment, et qu'aucune alternative n'était disponible parce que le système qui l'avait abandonnée à quinze ans ne s'intéressait pas à sa survie au-delà du point où elle pouvait encore être utilisée comme un objet.

À trente ans, elle a rencontré Tyria Moore, et pour la première fois de sa vie adulte, elle a connu quelque chose ressemblant à une relation stable. Tyria savait qu'Aileen se prostituait et l'acceptait, car comment auraient-elles survécu autrement ? Aileen est tombée profondément amoureuse, non pas au sens romantisé de trouver sa complétude en l'autre, mais au sens matériel d'avoir enfin quelqu'un qui se souciait de savoir si elle vivait ou mourait, quelqu'un à protéger et par qui être protégée, quelqu'un dont l'existence rendait la sienne légèrement plus supportable.

Même cette relation était structurée par la coercition qui façonnait tout le reste de sa vie : désormais, elle ne survivait pas seulement pour elle-même mais aussi pour subvenir aux besoins de Tyria, ce qui signifiait accepter plus de clients, endurer plus de violences, travailler dans des conditions de plus en plus insupportables parce que l'alternative était de perdre la seule personne qui comptait. L'amour dans des conditions de coercition totale ne libère pas ; il devient une autre forme de nécessité, une autre pression qui l'enfonce davantage dans la structure qui la détruisait. Ce n'est pas la faute de Tyria, pas plus que ce n'était celle d'Aileen ; toutes deux étaient prises dans des relations qu'aucune n'avait créées et qu'elles naviguaient comme elles le pouvaient, mais le fait reste qu'à la mi-trentaine, Aileen Wuornos avait subi trente ans de violences continues, avait absorbé des milliers d'atteintes, ne voyait aucune issue à la prostitution et approchait du point où la survie par la soumission signifierait son anéantissement psychique complet, même avant que la certitude statistique de la mort physique ne survienne.

III. Tuer[modifier | modifier le wikicode]

Le 30 novembre 1989, Richard Mallory, âgé de 51 ans, a pris Aileen Wuornos en stop pour des services de prostitution. Il l'a conduite dans un endroit isolé. Ce qui s'est passé ensuite est contesté en ce sens qu'il n'y avait aucun témoin et que le seul récit survivant est le témoignage de Wuornos elle-même, mais il est incontesté que Mallory avait une condamnation antérieure pour viol avec violence, qu'il avait purgé dix ans de prison pour avoir violemment violé une femme, et que ce fait a été jugé irrecevable lors du procès au motif qu'il pourrait influencer le jury en faveur de Wuornos. Elle lui a tiré dessus à plusieurs reprises, a pris sa voiture et ses affaires, et l'a laissé mort. Au cours des onze mois suivants, elle a tué six autres hommes, tous l'ayant prise en stop pour des services de prostitution : David Spears, Charles Carskaddon, Peter Siems, Troy Burress, Charles Humphreys et Walter Antonio. Chaque meurtre suivait un schéma similaire : un homme prend une prostituée, la conduit dans un endroit isolé, elle lui tire dessus, prend le véhicule et les possessions, puis s'en va. Pour la police et les procureurs, ce schéma indiquait des meurtres avec vol prémédités, une tueuse en série qui attirait ses victimes sous prétexte de prostitution afin de les voler et de les tuer. Pour la loi bourgeoise, ce schéma était la preuve d'une intention, d'une planification, d'un calcul froid qui justifiait des accusations de meurtre au premier degré et des peines de mort.

La question que la loi posait était : avait-elle prémédité ces meurtres ? Et parce qu'elle portait une arme après le premier meurtre, parce qu'elle continuait à se prostituer en sachant qu'elle pourrait tuer à nouveau, parce qu'elle prenait les biens des hommes après les avoir abattus, la réponse fut oui, elle l'avait prémédité, elle était coupable de meurtre avec préméditation, elle méritait de mourir.

Cette question n'est pas erronée parce qu'elle aboutit à une mauvaise réponse ; elle est erronée parce qu'elle pose la mauvaise question.

Elle fragmente la totalité en moments discrets de décision, traite chaque meurtre comme un choix séparé pouvant être évalué selon ses propres termes, suppose un agent autonome sélectionnant librement parmi les options disponibles, et obscurcit ainsi tout ce qui compte. La question que le matérialisme dialectique pose est différente : quelle était la totalité des conditions dans lesquelles ces meurtres ont eu lieu, comment ces conditions ont-elles produit la personne qui a tué, quelles possibilités semblaient disponibles depuis sa position au sein de ces conditions, et que révèlent ses actes sur la structure qui contraignait ses choix ?

Abordé de cette manière, les meurtres deviennent intelligibles non comme une violence inexplicable ou un calcul froid, mais comme le moment où une violence structurelle soutenue a inversé sa direction, où la personne qui avait subi des actions pendant trente ans a finalement agi en retour, où le refus est devenu non une transgression mais une survie, non une aberration mais une nécessité.

Après vingt ans d'absorption de violence, quelque chose s'est brisé. Mallory n'était pas unique, il était typique, un client de plus dans une série de milliers, mais il était aussi tous les autres, chaque client qui l'avait blessée, chaque homme qui avait traité son corps comme un objet à utiliser, chaque transaction qui l'avait obligée à simuler un consentement tout en subissant une violation. Quand elle l'a abattu, elle ne se défendait pas contre cet homme en particulier à ce moment précis, elle se défendait contre la totalité de la violence que la prostitution lui avait infligée, contre la structure elle-même telle qu'elle apparaissait sous forme incarnée, assise à côté d'elle dans une voiture se rendant vers un autre lieu isolé où on s'attendait à ce qu'elle fournisse un accès sexuel dans des conditions rendant le refus matériellement impossible. Depuis sa position phénoménologique, chaque client était le violeur-assassin de Schrödinger : elle ne pouvait savoir à l'avance lesquels ajouteraient une violence physique à la violence structurelle inhérente à la transaction, et la probabilité cumulative que la poursuite de la prostitution aboutirait à son meurtre ou à une blessure grave approchait de la certitude. Tuer des clients n'était pas transgresser contre des personnes innocentes, mais refuser la violence qui avait défini son existence, dire enfin non de la seule manière qui semblait possible depuis son horizon d'action catastrophiquement contraint.

Après Mallory, elle avait franchi un seuil. Elle savait désormais qu'elle était capable de tuer, savait qu'elle pourrait le refaire, et continuait à porter une arme et à se prostituer. L'accusation appela cela de la préméditation. Nous, nous appelons cela la reconnaissance qu'elle était entrée dans un état où chaque transaction contenait le potentiel d'un refus mortel, où la ligne entre violence défensive et violence offensive s'était effondrée parce qu'elle était toujours déjà en position défensive contre une structure qui l'attaquait depuis l'enfance.

Demander si elle avait prémédité chaque meurtre ultérieur, c'est poser la mauvaise question ; la question est de savoir si une personne vivant sous une menace continue, ayant finalement refusé cette menace par la violence une fois, peut significativement être dite "prévoir" des refus ultérieurs, ou si le refus est simplement devenu partie intégrante de la structure de son engagement avec le système qui la détruit. Elle n'est pas devenue une tueuse en série au sens d'une personne qui tue pour le plaisir ou la satisfaction psychologique ; elle est devenue quelqu'un qui n'accepterait plus passivement d'être tuée, et dans une structure où la prostitution est un meurtre lent, le refus d'être assassinée prend la forme de tuer ceux qui incarnent cette structure meurtrière.

Aucun des hommes qu’elle a tués n’était innocent. Ce n’est pas affirmer que chacun d’eux était personnellement violent dans cette transaction précise, bien que Mallory l’ait certainement été et que les autres l’aient probablement été aussi, compte tenu des caractéristiques démographiques des hommes qui achètent des services de prostitution dans la rue. C’est affirmer que chaque client participe à la violence structurelle de la prostitution, qu’acheter un accès sexuel forcé à une femme désespérément pauvre est en soi un acte de violence, peu importe la politesse avec laquelle il est mené, et que les hommes qui ont pris Aileen Wuornos en stop engageaient une transaction définitionnellement coercitive, fondée sur son absence d’alternatives, structurée par l’intersection de l’entitlement sexuel patriarcal et de la misère capitaliste. Les présenter comme des victimes, les dépeindre devant les tribunaux comme des hommes innocents qui voulaient simplement du sexe avant de tomber sur une prédatrice meurtrière, revient à effacer la violence inhérente à ce qu’ils faisaient. Ils n’étaient pas des spectateurs innocents frappés par une violence aléatoire ; ils étaient des participants à un système de violence sexuelle organisée contre les femmes, et le fait que cette violence soit légale et socialement normalisée ne la rend pas moins réelle.

Les meurtres étaient un acte de refus qui disait enfin : Je ne me laisserai plus utiliser, je n’absorberai plus une violence infinie, je me défendrai contre la structure même si la seule défense disponible est une violence individuelle contre ses agents. Ce refus n’avait aucune efficacité stratégique, il n’a pas aboli la prostitution ni remis en cause de manière significative le capitalisme patriarcal, il a directement conduit à son arrestation et à son exécution, et en ce sens, il était tragique, un geste condamné d’avance qui lui a coûté la vie ainsi que celle de sept hommes sans rien changer au système. Cependant, le manque d’efficacité stratégique ne diminue pas la légitimité du refus. Nous honorons les révoltes d’esclaves même lorsqu’elles ont été réprimées dans le sang et n’ont pas mis fin à l’esclavage. Nous honorons les soulèvements anticoloniaux même lorsqu’ils ont été noyés dans le sang et ont retardé la libération de décennies.

Nous honorons ces actes parce qu’ils représentent le refus d’accepter passivement sa propre destruction, l’insistance sur la dignité même dans des conditions conçues pour l’anéantir, la résistance qui dit : même si je perds, même si je meurs, je ne mourrai pas en silence.

Aileen Wuornos s’est défendue.

Elle a perdu.

Le système l’a exécutée, mais sa résistance n’était pas une erreur ; ce qui était erroné, c’était le système qui avait rendu cette résistance nécessaire avant de la punir comme un crime.

IV. Le meurtre silencieux et prolongé d’Aileen Wuornos[modifier | modifier le wikicode]

Le procès d’Aileen Wuornos n’a pas été une quête de vérité, mais une mise en scène rituelle de l’incapacité de la légalité bourgeoise à appréhender la totalité. Elle a été jugée séparément pour plusieurs meurtres, chaque procès traitant un homicide comme un événement discret analysable en isolation, détaché de son histoire personnelle et du schéma récurrent de ses actes. Le premier procès, pour le meurtre de Richard Mallory, a établi le cadre qui régirait toutes les procédures ultérieures : le parquet l’a présentée comme une tueuse en série prédatrice attirant ses victimes par la prostitution pour les voler, la défense a tenté de plaider la légitime défense et de présenter des circonstances atténuantes liées à son histoire de violences subies, la cour a systématiquement exclu les preuves pouvant contextualiser ses actes, et le jury l’a reconnue coupable de meurtre prémédité au premier degré. L’exclusion de la condamnation de Mallory pour viol est particulièrement révélatrice : voici une preuve directe que l’homme qu’elle a tué était un violeur violent condamné, que son affirmation d’avoir été agressée était entièrement plausible au vu de ses antécédents documentés, et que, de son point de vue, la menace qu’il représentait n’était pas spéculative, mais bien réelle.

La cour a jugé cette preuve irrecevable parce qu’elle risquait d’influencer le jury. Mais c’est précisément le problème : le jury aurait dû savoir qu’il jugeait une affaire où une femme ayant subi trente ans de violences de la part de clients avait abattu un homme condamné pour des viols violents sur des femmes. Cette connaissance n’aurait pas déterminé le verdict, mais elle l’aurait contextualisé, aurait rendu visible la totalité que le récit du parquet – celui d’un vol prédatoire – occultait.

Cette exclusion révèle l’engagement de la cour envers la fragmentation : nous examinerons ce moment, cet acte, mais pas la totalité historique et sociale dans laquelle il s’est produit.

Tout au long des procès, le comportement d’Aileen a été erratique, confrontational, apparemment autodestructeur. Elle a renvoyé ses avocats à plusieurs reprises, s’est représentée elle-même de manière chaotique, a fait des déclarations contradictoires, a oscillé entre la légitime défense et une apparente acceptation de la culpabilité, et a finalement exigé l’arrêt des appels pour que son exécution soit exécutée sans délai. Les médias et le parquet ont présenté cela comme une preuve de son instabilité, de sa nature manipulatrice, de son incapacité fondamentale au remords ou à la rédemption.

Mais que pouvait-elle faire d'autre ? Elle participait à une procédure qui ne pouvait pas la voir, qui avait déjà déterminé son irréalité à travers les catégories qu’elle lui imposait. Invoquer la légitime défense dans un cadre qui définit celle-ci comme une réponse à une menace immédiate, c’était accepter une définition incapable d’englober sa réalité de vivre sous une menace permanente. Présenter des circonstances atténuantes d’abus, c’était accepter un cadre où l’abus explique mais ne justifie pas, où sa souffrance devenait un facteur dans la détermination de la peine plutôt qu’une accusation portée contre le système. Collaborer avec des avocats opérant dans des catégories juridiques bourgeoises signifiait accepter que ces catégories soient adéquates pour décrire son expérience, alors qu’elles étaient précisément ce qui la falsifiait. Sa résistance au procès n’était pas de l’irrationalité, mais une rage face à l’affirmation répétée que sa vie ne signifiait pas ce qu’elle savait qu’elle signifiait, que ses actes de survie et de refus étaient réécrits comme une criminalité prédateur, que le système qui la jugeait était le même qui l’avait abandonnée aux conditions ayant rendu ses meurtres apparemment nécessaires.

Le verdict fut meurtre au premier degré. La peine fut la mort. Elle passa plus de dix ans dans le couloir de la mort à la prison de Broward, épuisant les recours, se retirant progressivement du combat, pour finalement exiger sa propre exécution. Dans ses dernières années, elle fit des déclarations sur la police la torturant avec des armes soniques, sur des complots contre elle, déclarations que les médias rapportèrent avec empressement comme preuve de sa folie, validant ainsi à titre posthume le récit selon lequel elle avait toujours été folle, toujours un monstre au-delà de toute rédemption. Mais considérons ce que signifie passer plus d’une décennie à savoir que l’État vous tuera pour avoir refusé de continuer à être violée, sachant que le système qui vous a d’abord détruite par l’abandon vous détruira maintenant par l’exécution, sachant que l’on se souviendra de vous non pas comme de quelqu’un qui s’est battu contre des conditions insupportables, mais comme d’une tueuse en série, d’un exemple édifiant, d’un monstre.

Était-ce vraiment de la paranoïa que de croire que le système vous torturait, alors que c’était littéralement ce qui se passait ? Les armes soniques pouvaient être une illusion, mais la torture était bien réelle : plus de dix ans dans le couloir de la mort à attendre que l’État achève le meurtre commencé lorsqu’elle était enfant.

Le 9 octobre 2002, ils l’ont exécutée. Ses derniers mots furent étranges, quelque chose à propos de naviguer avec Jésus et de revenir comme dans Independence Day avec un immense vaisseau-mère. Les médias se moquèrent de ces paroles comme preuve ultime de son déséquilibre.

Mais peut-être disait-elle ceci : allez vous faire foutre, je reviendrai, ce n’est pas fini, vous ne pouvez pas tuer ce que je représente, car ce que je représente, c’est le refus lui-même, ce « non » que vous ne pouvez pas éteindre en me tuant, car il réémergera des mêmes conditions qui m’ont produite, jusqu’à ce que ces conditions soient détruites.

Ou peut-être était-elle simplement épuisée, traumatisée au-delà de toute cohérence, disant n’importe quoi parce que plus rien n’avait d’importance.

Dans les deux cas, ils l’ont tuée, ont appelé cela justice, et sont passés à autre chose.

V. La mort comme fondement de la lutte[modifier | modifier le wikicode]

Aileen Wuornos a agi seule et a perdu. Ses meurtres n’ont pas aboli la prostitution, n’ont pas remis en cause de manière significative le capitalisme patriarcal, n’ont pas inspiré de mouvement, n’ont sauvé personne. Ils ont abouti à son arrestation, sa condamnation et son exécution, tandis que la structure qui l’a détruite continue d’en détruire d’autres. En ce sens, sa résistance fut tragique, un refus individuel voué à l’échec qui n’a rien changé. Mais nous ne l’honorons pas pour son efficacité stratégique ; nous l’honorons pour son refus en lui-même, pour avoir enfin dit non, pour s’être battue en retour, même si se battre signifiait mourir. La tâche de celles et ceux d’entre nous qui survivent, qui n’ont pas subi ses conditions, qui conservons la capacité d’action collective qui lui a été refusée, est de transformer son refus individuel en lutte collective contre la structure. Nous canalisons la rage qui a motivé ses meurtres non pas vers plus de violence individuelle, mais vers l’abolition systématique de la prostitution par la construction socialiste. Ce n’est pas trahir sa résistance en la sublimant en une politique réformiste ; c’est reconnaître que la résistance individuelle à la violence structurelle, bien que moralement légitime et souvent nécessaire à la survie, est stratégiquement insuffisante, et que la véritable vindication de sa vie passe par la création de conditions où personne d’autre ne sera confronté au choix qu’elle a dû faire entre la violation continue et le refus violent.

L'abolition de la prostitution nécessite une transformation matérielle à plusieurs niveaux, procédant simultanément. Premièrement, les garanties de la société socialiste éliminent la base économique de la prostitution de survie : lorsque le logement, la nourriture, les soins de santé, l'éducation et l'emploi sont garantis comme des droits sociaux plutôt que comme des marchandises à acheter, le désespoir qui pousse les personnes vers la prostitution disparaît. La jeune fille de quinze ans sans abri a un toit. La femme de trente ans a des alternatives à la vente d'un accès sexuel.

Deuxièmement, le démantèlement de l'idéologie patriarcale par une révolution culturelle attaque la demande : lorsque l'idée d'un droit sexuel masculin est combattue, lorsque la socialisation genrée qui construit les femmes comme des objets sexuels pour la consommation masculine est systématiquement remise en question, lorsque la marchandisation de la vie intime est reconnue comme une distorsion plutôt que comme un phénomène naturel, le désir d'acheter un accès sexuel perd sa normalisation sociale.

Troisièmement, la transformation des structures juridiques et étatiques afin qu'elles protègent plutôt qu'abandonnent les plus vulnérables : les policiers qui ignorent actuellement la violence contre les prostitué·e·s, les services sociaux qui refusent actuellement celles et ceux cherchant à sortir de la prostitution, les tribunaux qui punissent actuellement les crimes de survie tout en protégeant la propriété patriarcale, tous doivent être restructurés pour servir le bien-être collectif plutôt que l'ordre bourgeois.

Cette transformation n'est ni immédiate ni le résultat d'une déclaration volontariste. La construction socialiste est prolongée, inégale et marquée par des contradictions où les anciennes relations persistent aux côtés des nouvelles relations émergentes. Pendant la transition, la prostitution peut continuer là où subsistent des conditions matérielles de désespoir. La réponse n'est pas la criminalisation, qui pousse la prostitution dans la clandestinité et intensifie la violence contre les prostitué·e·s, mais plutôt l'accélération de la construction d'alternatives combinée à un soutien pour celles et ceux encore piégé·e·s dans la prostitution. Nous ne condamnons pas les prostitué·e·s ; nous nous organisons avec elles et eux, soutenons leurs luttes immédiates pour la sécurité et la dignité, et travaillons collectivement à éliminer les conditions qui rendent la prostitution apparemment nécessaire.

Nous condamnons en revanche les clients, non pas comme des monstres moraux individuels, mais comme des participants à une violence structurelle qui doivent être confrontés à la réalité de ce qu'ils font. Nous nous organisons pour rendre socialement illégitime l'achat d'un accès sexuel, non par une condamnation morale, mais par une éducation matérialiste sur la coercition inhérente à cette transaction.

Pour Aileen Wuornos en particulier, la réponse juste dans un cadre socialiste aurait été un acquittement total de toutes les accusations de meurtre, au motif que les catégories juridiques de préméditation et d'intention ne peuvent pas saisir adéquatement des actes émergents d'une violence structurelle prolongée, combiné à un soutien matériel et psychologique complet : logement, soins de santé, intégration communautaire, reconnaissance de ce qui lui a été fait non pas comme une circonstance atténuante, mais comme la substance même de l'affaire. Elle avait besoin de ce dont tout être humain a besoin pour s'épanouir, c'est-à-dire la sécurité, la dignité, des liens sociaux, les bases matérielles de la vie, ainsi qu'un soutien spécifique pour les traumatismes profonds qu'elle avait subis. L'objectif n'est pas la réhabilitation, ce qui impliquerait qu'elle était défectueuse et avait besoin d'être "réparée", mais plutôt la réintégration dans la vie sociale après des décennies d'exclusion systématique, et la reconnaissance collective que sa destruction n'était pas de sa faute, mais celle du système qui l'a abandonnée.

Cela apparaîtra à la plupart des lecteur·rice·s comme utopique, comme impossible dans les structures juridiques existantes, comme dangereusement radical. C'est tout cela à la fois. C'est utopique en ce sens que cela nomme une condition qui n'existe pas encore mais qui devient possible par la lutte. C'est impossible dans les structures existantes parce que ces structures sont précisément ce qui doit être transformé. C'est radical parce que tout ce qui est moins qu'une transformation radicale perpétue la violence.

VI. La camarade Wuornos[modifier | modifier le wikicode]

Nous l'appelons Camarade non pas parce qu'elle était communiste au sens formel, non pas parce qu'elle a articulé une politique révolutionnaire, non pas parce que ses actions ont fait avancer la construction socialiste. Nous l'appelons Camarade parce qu'elle occupait une position spécifique dans la structure de la lutte des classes, parce qu'elle était une femme prolétaire détruite par l'intersection de l'appauvrissement capitaliste et de la violence patriarcale, parce qu'elle a riposté contre cette destruction même lorsque la riposte était vouée à l'échec, et parce que sa vie et sa mort nous enseignent ce qui doit être aboli et pourquoi. Camarade est une reconnaissance de la position structurelle et une solidarité avec la résistance, non une approbation de chaque acte individuel ou l'affirmation qu'elle était parfaite ou héroïque au sens conventionnel. Elle était un être humain façonné par des conditions qu'elle n'avait pas choisies, elle a navigué dans ces conditions avec l'agentivité qui lui était accessible, elle a survécu plus longtemps que quiconque aurait pu raisonnablement l'espérer dans ses circonstances, et elle a finalement refusé par les seuls moyens qui lui semblaient disponibles.

Ce refus mérite l'honneur même s'il était stratégiquement limité, même s'il a entraîné sa mort, même si nous prônons une transformation collective plutôt qu'une violence individuelle.

La solidarité avec la camarade Wuornos signifie plusieurs choses concrètement. Cela signifie défendre sa mémoire contre ceux qui voudraient en faire un symbole de la raison pour laquelle les prostituées sont dangereuses, de la raison pour laquelle les femmes qui résistent sont folles, de la raison pour laquelle le système avait raison de l'exécuter. Cela signifie affronter la récupération libérale qui veut faire d'elle une icône féministe tout en maintenant que le travail du sexe est un travail, qui veut célébrer sa résistance tout en défendant la structure contre laquelle elle résistait. Cela signifie utiliser son cas comme une éducation sur la violence de la prostitution et la faillite des catégories juridiques bourgeoises.

Cela signifie soutenir matériellement et politiquement les prostituées actuelles, en reconnaissant que des milliers de femmes sont actuellement dans des conditions similaires à celles qu'elle a affrontées, que l'urgence est immédiate et non abstraite. Et cela signifie canaliser la rage que son cas provoque vers une lutte organisée pour la transformation systématique des conditions, et non vers une condamnation morale, une violence individualisée ou des réformes cosmétiques d'une structure qui doit être abolie jusqu'à la racine.

Elle est morte et nous ne pouvons pas la sauver.

Ce que nous pouvons faire, c'est nous assurer que sa vie soit comprise dans sa totalité plutôt que fragmentée en un récit monstrueux qui a servi ses bourreaux. Nous pouvons lutter pour créer le monde dont elle avait besoin et qu'elle n'a jamais obtenu, un monde où les adolescentes ne sont pas abandonnées à la prostitution, où les adultes ne sont pas forcés de choisir entre la violation et le refus violent, où les corps humains ne sont pas marchandiés, où la sexualité est libérée de la coercition.

Ceci n'est pas rédemption : sa souffrance ne devient pas significative à travers notre politique, sa mort ne sert pas un dessein supérieur. Ce qui lui a été fait était injuste et rien ne peut le rendre juste, mais nous qui continuons la lutte avons la responsabilité d'apprendre de sa destruction et de nous engager à détruire ce qui l'a détruite. Voici ce que signifie camarade : non pas que nous la connaissions, non pas que nous puissions parler en son nom, mais que nous nous tenons en solidarité matérielle avec sa position dans la lutte et que nous nous engageons à abolir le système qui l'a assassinée lentement par l'abandon et rapidement par l'exécution.

VII. Dialectique du refus[modifier | modifier le wikicode]

L'exécution d'Aileen Wuornos a été l'acte final d'un processus de meurtre social qui a duré quarante-six ans, commençant par des abus sexuels dans l'enfance et se concluant par une exécution étatique pour avoir refusé d'accepter sa propre destruction. Chaque institution de la société bourgeoise y a participé : la famille qui l'a abusée et abandonnée, le système économique qui ne lui a offert que la prostitution comme moyen de survie, les clients qui ont acheté l'accès à son corps dans des conditions de coercition, la police qui a ignoré les violences contre elle, les tribunaux qui ont fragmenté sa vie en actes criminels disjoints, le système carcéral qui l'a entreposée pendant plus d'une décennie, et enfin les bourreaux qui ont injecté du poison dans ses veines.

Ce n'était pas une tragédie individuelle mais une violence structurelle rendue visible, le fonctionnement routinier du patriarcat capitaliste procédant par ses canaux normaux vers son résultat habituel. Elle est morte. La structure qui l'a tuée persiste. Elle en produit d'autres comme elle en ce moment même, les soumettant aux mêmes conditions, leur offrant les mêmes choix impossibles, les préparant à la même destruction. Notre tâche est d'identifier avec précision ce qui doit être aboli et d'organiser la force collective nécessaire pour l'abolir.

Cela exige une analyse matérialiste dialectique capable de saisir la totalité sans perdre de vue les individus, la détermination structurelle sans éliminer l'agentivité, la nécessité historique sans accepter l'inéluctabilité d'un résultat particulier. Cela exige une rage disciplinée par la théorie et une compassion disciplinée par le matérialisme.

Cela exige que nous honorions la Camarade Wuornos en veillant à ce que sa destruction n'ait pas été vaine, non pas parce qu'un sens peut être extrait de l'horreur, mais parce que nous transformons l'horreur en connaissance qui permet la transformation. Elle a combattu seule et a perdu. Nous combattons collectivement pour gagner. Pas pour elle, elle est au-delà de toute aide, mais pour tous ceux que le système est en train de détruire et pour la possibilité d'un monde où la prostitution, ainsi que toutes les conditions qui la produisent, aura été abolie et ne sera plus qu'un souvenir de la barbarie que nous avons surmontée. C'est ce que permet le matérialisme dialectique et ce que sa vie exige : une analyse à la hauteur de la totalité de la violence et un engagement envers la totalité de la transformation.

Tout ce qui est moindre trahit à la fois la méthode et la mémoire.

À mort tous nos ennemis !

À mort l'État bourgeois !

Vive l'humain !

Vive le combat pour un monde meilleur !

Vive le marxisme-léninisme !

Que la lutte triomphe par la lutte !

Sources[modifier | modifier le wikicode]

Biographie - 1

Biographie - 2

Sur le procès - 1

Sur le procès - 2

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