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de Camarade Kiwi
Publié le : 2025-11-02 (mis à jour : 2025-11-15)
5-15 minutes
La lutte sur l'épistémologie est toujours la lutte sur les questions que nous nous permettons de poser.
THÈSES SUR LE POSITIVISME[modifier | modifier le wikicode]
Critique de la métaphysique empiriste
I.[modifier | modifier le wikicode]
Le positiviste traite les lois scientifiques comme des descriptions de la nature, mais les utilise comme si elles étaient la nature elle-même. Il admet l'épistémologie mais pratique l'ontologie. Cette confusion n'est pas une erreur accidentelle mais une nécessité structurelle : l'empirisme ne peut justifier ses propres présupposés et doit donc les naturaliser comme des évidences.
Quand la philosophie remet en cause ces fondements, le positiviste exige des preuves empiriques pour les arguments philosophiques. La demande elle-même prouve la critique.
II.[modifier | modifier le wikicode]
Tout positivisme repose sur des axiomes qu'il ne peut prouver. Pressé de défendre ces axiomes contre le solipsisme ou l'idéalisme subjectif, le positiviste recule : « Je les prends pour acquis. » Mais ce qui est donné n'est pas pour autant justifié.
Le fondement non examiné reste non examiné, non solide. La philosophie interroge précisément ce que l'empirisme doit prendre pour acquis, et le positiviste qui déclare cette interrogation irrelevante n'a fait qu'annoncer son incapacité à penser au niveau des présupposés.
III.[modifier | modifier le wikicode]
Le positiviste exige des exemples concrets de la manière dont la critique philosophique se manifeste dans la pratique scientifique, confondant une analyse au niveau du cadre avec un désaccord au niveau du contenu.
C'est comme demander : montre-moi quelle pièce a des fissures quand on lui dit que les fondations sont instables. La critique n'est pas que des mesures individuelles échouent, mais que toute la structure de l'épistémologie positiviste fragmente la réalité, isole les phénomènes de la totalité et reproduit l'incapacité de l'idéologie bourgeoise à penser la relation et le mouvement.
IV.[modifier | modifier le wikicode]
Acculé sur les axiomes, le positiviste passe de « nous ne connaissons que ce que nous pouvons prouver empiriquement » à « nous ignorons ce qui n'est pas utile ». Ce n'est pas une réponse mais une esquive, passant du positivisme à l'utilitarisme quand le premier échoue. Qu'il doive changer de cadre quand il est mis au défi révèle non pas la force de l'empirisme, mais sa faillite.
Un cadre qui ne peut défendre ses propres présupposés et doit en appeler à l'utilité a déjà concédé l'argument philosophique.
V.[modifier | modifier le wikicode]
Le positiviste affirme que les présupposés sont à la fois pertinents et irrelevants dans le même argument. Il admet que les théories se forment et se brisent sur des présupposés, puis déclare que l'examen philosophique de ces présupposés est inutile à sa pratique. Ce n'est pas une contradiction dialectique mais une simple incohérence.
Il veut que les fondements comptent sans avoir à les examiner, veut opérer dans un cadre sans en être responsable de la logique.
VI.[modifier | modifier le wikicode]
La fragmentation de la totalité en unités discrètes et mesurables n'est pas une méthode neutre mais une opération idéologique. Le positiviste étudie les batteries sans saisir les relations sociales qui rendent les batteries nécessaires, mesure des particules sans reconnaître que les catégories de mesure sont historiquement produites par la pratique humaine, calcule le mouvement sans théorie de ce qu'est le mouvement.
Cette fragmentation reproduit la logique du capital : traiter tous les phénomènes comme isolés, analysables indépendamment du tout, compréhensibles sans référence à la totalité qui les produit.
VII.[modifier | modifier le wikicode]
L'empirisme ne peut rendre compte du développement qualitatif, seulement de la mesure quantitative. Il n'a pas de théorie du mouvement, seulement des états. Quand la science passe de Newton à Einstein, le positiviste enregistre la transition mais ne peut penser la logique de la transition elle-même.
Il mesure l'avant et l'après, mais le mouvement entre les deux, la négation et l'aufhebung, la transformation dialectique, lui reste opaque. Son cadre ne contient que l'être et le non-être, non le devenir.
VIII.[modifier | modifier le wikicode]
Le positiviste qui dit « la philosophie n'a pas d'importance pour mon travail » a fait une affirmation philosophique qu'il ne peut défendre sans faire de la philosophie. Son refus d'examiner les fondements n'est pas une échappatoire à la philosophie mais une soumission à une philosophie non examinée, qui est toujours la philosophie de la classe dominante.
L'affirmation selon laquelle on peut faire de la science sans philosophie est elle-même de la philosophie, et une mauvaise philosophie qui plus est.
IX.[modifier | modifier le wikicode]
La pratique scientifique est une pratique sociale ancrée dans des relations matérielles. Les questions posées, les recherches financées, les applications poursuivies, tout reflète le mode de production dans lequel la science opère.
Le positiviste qui revendique la neutralité, qui insiste sur le fait qu'il se contente de décrire la nature sans engagement philosophique, reproduit précisément l'idéologie à travers cette neutralité revendiquée. Refuser d'examiner comment son cadre est socialement constitué n'est pas de l'objectivité mais de la mystification.
X.[modifier | modifier le wikicode]
Le point de vue du positivisme est celui d'une société civile fragmentée traitant la connaissance comme une acquisition individuelle et la science comme une collection de faits isolés. Le point de vue du matérialisme dialectique est celui d'une humanité sociale saisissant la connaissance comme un produit collectif émergent de la pratique humaine dans sa totalité. Le positiviste mesure ; le dialecticien comprend. Le positiviste prescrit ; le dialecticien transforme. Le positiviste fragmente ; le dialecticien saisit le tout.
XI.[modifier | modifier le wikicode]
Lorsque le positiviste admet enfin qu'il ne peut pas défendre ses axiomes empiriquement, qu'il les prend comme donnés, que la philosophie des fondements ne l'intéresse pas, il a tout concédé. Un cadre qui repose sur des hypothèses qu'il déclare injustifiables et irrelevantes n'est pas de la science mais de la foi.
Le positiviste n'est pas matérialiste mais mystique, adorant à l'autel de la mesure tout en refusant de se demander ce que signifie la mesure, ce qu'elle présuppose, ce qu'elle ne peut pas saisir. Sa demande de preuve empirique de la critique philosophique est une erreur de catégorie si fondamentale que toute conclusion qui en découle est sans valeur.
XII.[modifier | modifier le wikicode]
Les positivistes n'ont jusqu'à présent interprété la nature que comme des données ; la tâche, cependant, est de dissoudre l'observateur dans le processus, de faire de la science elle-même un moment de la praxis.
Le positivisme est l'idéologie bourgeoise sous forme épistémologique : fragmentant, réifiant, naturalisant ce qui est historique, traitant la description comme une prescription, confondant le connaître et l'être, et déclarant ses propres présuppositions au-delà de toute interrogation. Le positiviste ne peut répondre à la philosophie et déclare donc la philosophie irrelevante. Ce n'est pas une réfutation mais une retraite.
Addendum :[modifier | modifier le wikicode]
Question : Quelle pertinence ces thèses ont-elles pour notre mouvement marxiste-léniniste ?
Réponse : Comme le déclare la toute première affirmation de mon texte, l'épistémologie détermine la validité d'une question, quelles questions peuvent même être posées et quelles questions peuvent simplement être écartées. Lorsque nous demandons : qu'en est-il de l'exploitation ? La classe ennemie répond :
« Mais l'économie bourgeoise ne montre pas cela, regardez les données, regardez notre paradigme ! »
Le cadre de ce qui peut être connu et de quelles questions sont valides, c'est-à-dire l'épistémologie, cherche ainsi à invalider la question révolutionnaire en maintenant l'hégémonie sur ce qui peut même être remis en question. Nous devons combattre leur hégémonie sur ce qu'est le savoir et comment il est acquis, comme l'a déclaré Lénine, une lutte sur tous les fronts doit être menée.
Question : Pourquoi le positiviste doit-il confondre épistémologie et ontologie ? Quelle est la nécessité structurelle même ?
Réponse : Le positiviste doit pratiquer non pas la description mais la prescription, non pas l'épistémologie mais l'ontologie, en ce sens qu'il déclare que les axiomes et l'observation sont ce qu'est la réalité plutôt que la description la plus avancée, précisément parce que sinon le positivisme s'effondre, car il repose uniquement sur le maintien de ce qui est empiriquement vrai comme vérité et rien d'autre. Ainsi, puisque ses axiomes, c'est-à-dire l'existence du monde extérieur, la stabilité de la causalité, etc., ne peuvent être justifiés empiriquement, il doit poser que c'est ainsi, plutôt que de se contenter d'une simple description.
Question : Pour la thèse II, ces axiomes sont pris comme tels parce qu'il n'existe aucun contre-exemple connu, que répondez-vous à cela ?
Réponse : Je soutiens que la nature empirique de cet argument s'effondre lorsqu'elle n'est pas basée sur une base philosophique rigoureuse. Par exemple : qu'en est-il de la position empiriquement infalsifiable du solipsisme, qui pose que seul l'esprit existe ? Les présuppositions elles-mêmes exigent une stabilisation qui ne peut venir empiriquement, à moins de déclarer une circularité. Vous ne pouvez pas justifier l'empirisme par l'empirisme lorsque c'est le cadre même qui est remis en question.
Question : Pour la thèse VI, la mécanique quantique a pratiquement garanti que l'étude des systèmes en isolation est inutile, même si d'autres sciences ne l'ont pas encore compris, que dire alors ?
Réponse : Je fais plutôt une critique générale du paradigme et des fondements. Ce n'est pas que la science soit incapable de penser en catégories et en interrelations, elle le peut évidemment. Le point est que ce n'est pas le paradigme structurel qui dicte cela. Le matérialisme dialectique permet non seulement de stabiliser les axiomes, mais aussi de rendre la pensée relationnelle et systémique intégrée à la logique même de la science.
Question : Le naturalisme de Quine accepte la circularité mais rejette le fondationalisme. Cela ne contourne-t-il pas votre critique en refusant le jeu de la fondation plutôt qu'en le jouant mal ?
Réponse : Quine présuppose encore la nature comme objet pré-donné pour la cognition plutôt que de reconnaître la pensée comme moment de l'auto-développement de la nature. Son « pas de première philosophie » conserve le dualisme sujet-objet, la conscience étudie la nature de l'extérieur. La logique dialectique saisit la pensée comme pratique matérielle par laquelle la réalité en vient à se connaître elle-même. Le cercle n'est pas vicieux parce que penser est une activité réelle transformant son objet. Le naturalisme de Quine reste contemplatif ; le nôtre est pratique.
Question : Vos propres catégories – totalité, contradiction, négation, etc. – nécessitent un fondement. Comment le matérialisme dialectique échappe-t-il au problème des axiomes qu'il diagnostique dans le positivisme ?
Réponse : Nous n'y « échappons » pas ; nous reconnaissons les axiomes comme historiquement produits par la pratique collective, et non comme des prérequis intemporels. Les formes de pensée se développent à partir de l'activité humaine transformant la nature. La contradiction n'est pas imposée comme une loi externe, mais découverte comme mouvement réel des choses : le capital est un mouvement auto-contradictoire, non une incohérence logique projetée sur lui. Nos catégories se stabilisent pratiquement, non déductivement. Le positivisme mystifie ses axiomes en les naturalisant ; nous saisissons les nôtres comme des réalisations socio-historiques nécessitant une reproduction continue. La différence : nous pensons nos présupposés en tant que présupposés.
Question : Si la connaissance est historique et issue de la pratique, comme vous le posez, ne devient-elle pas relative ? Comment quelque chose peut-il être objectivement vrai si le fondement change constamment ?
Réponse : Dire que la connaissance est historique ne signifie pas qu'elle manque d'objectivité ; cela signifie que l'objectivité elle-même se développe. Chaque stade historique produit des formes de connaissance adéquates à son mode de production ; l'adéquation n'est pas un diktat éternel, mais un dialogue vivant avec des conditions objectives qui contiennent en elles-mêmes ces conditions objectives. L'objectivité émerge lorsque la pratique sociale reproduit le monde consciemment ; plus la pratique est consciente, plus la connaissance est objective. La connaissance n'est ni une vérité éternelle ni née d'un néant subjectif, mais une participation réussie au déploiement même de la société.
Question : Si la science positiviste « fonctionne » instrumentalement malgré son incohérence philosophique, n’avez-vous pas simplement montré que les scientifiques ont une mauvaise philosophie, et non une mauvaise science ?
Réponse : Fausse séparation. La pratique scientifique intègre des engagements théoriques qui fragmentent les phénomènes, naturalisent des formes sociales contingentes et bloquent la compréhension du développement. Que les piles « fonctionnent » ne valide pas le traitement de l'électrochimie comme domaine isolé, cela signifie que le succès instrumental coïncide avec une mystification théorique. La critique n'est pas que les mesures échouent, mais que les cadres positivistes rendent invisible la totalité sociale produisant à la fois la pile et le physicien. Une base théorique limitée et fragmentée produit des résultats limités et fragmentés, isolés du tout.
Question : L'étude de systèmes isolés ne reste-t-elle pas méthodologiquement nécessaire, même en admettant votre critique ? Comment saisir la totalité sans réduction abstraite d'abord ?
Réponse : L'erreur est de traiter l'abstraction méthodologique comme une vérité ontologique, en oubliant que le système isolé est produit par une activité d'abstraction et doit être aufgehoben (sublaté) dans la totalité concrète. Le positivisme confond le moment et le tout, réifie l'abstraction. Nous commençons par le tout chaotique, réduisons aux déterminations abstraites, puis reconstruisons le concret comme totalité-pensée. Le positiviste s'arrête à la deuxième étape et l'appelle nature.
